7.12.10

Piqûre de rappel : pourquoi c'est toujours ultra fixe de vivre au Portugal

Iza (ma bien-aimée coloc, au cas où je ne l'aurais pas encore assez dit) est rentrée de son week-end à Évora complètement déprimée. Elle avait perdu son portefeuille et tous ses papiers, de même que son portable, avait connu une désillusion sur la gente masculine portugaise assez considérable, et, comme si ce n'était pas déjà assez, il avait plu tout le week-end. Quand je l'ai vu revenir en traînant les pieds, prête à désavouer le Portugal et à sauter dans le premier avion pour Krakow, j'ai senti le désespoir me gagner moi aussi. Mais qu'est-ce qu'on foutait dans ce pays où rien ne marche comme on veut, où personne ne se bouge pour rien, où ma carte de photocopie ne fonctionne qu'une fois sur cent ? Qu'est-ce qui nous avait pris de venir passer des mois sous la pluie, dans des apparts pas chauffés, dans une ville à demi abandonnée et qui s'écroule jusque dans notre rue* ? Quelqu'un pouvait-il nous expliquer pourquoi il n'y avait plus de pipettes au labo depuis deux semaines, pourquoi ma prof de socio s'obstinait à reporter mon exposé sur mes heures de cours, pourquoi il y avait des vers dans les castanhas de Cedofeita, et pourquoi, pourquoi, pourquoi le pur jus d'orange 100% fruit n'existait dans aucun supermarché ?

C'est donc complètement blasées que nous nous sommes attablées devant nos crackers, notre Toblerone et notre verre de Porto (merci Judyta, sans toi nous ne dînerions pas), et que la saison 7 de Grey's Anatomy est venue à nous, en dernier recours, histoire de nous rappeler que oui, certaines personnes sur Terre pouvait comprendre notre souffrance - cf Christina Yang devant le grave dilemme d'une greffe de poumon, cf aussi Lexie Grey qui a des problèmes avec sa mémoire photographique, cf enfin Callie Torres qui se fait larguer à l'aéroport alors qu'elle avait décidé de suivre sa copine mutée au Maliwi.

Amertume soudaine.

Et puis je me suis rendue compte que je partais en Ecosse deux semaines plus tard,et que je n'avais pas envie d'avoir l'impression de fuir Porto, et surtout pas envie d'appréhender le retour. Que cette année, je l'avais voulu, j'en rêvais. Que j'avais passé le concours Sciences Po avec l'image de la 3A clignotant dans ma tête. Partir où je voulais... A l'autre bout du monde, qui sait ? Bon, finalement, c'est le Portugal que j'ai choisi, l'Europe, une heure de décalage horaire. Mais mine de rien, le décalage culturel, lui, se ressent en permanence, parfois sous la forme de grosses claques et de désillusions, mais parfois aussi comme une libération. Alors voilà, j'ai décidé de redevenir optimiste. De sortir de l'hibernation dans laquelle le froid m'a plongé, de secouer un peu la lassitude qui s'est peu à peu installée, au cours de ces trois mois. J'avais besoin d'une piqûre de rappel : car, oui, c'est toujours super fixe de vivre au Portugal. Laissez-moi vous le prouver en 10 raisons.

1- On peut traverser le pays du nord au sud en 10 heures, et pour moins de 30 euros. Et oui, c'est un petit pays, mais au moins en un an, j'ai le temps de tout voir. De Bragança à Faro, à la mi-juillet le Portugal n'aura plus de secrets pour moi !

2- Porto possède un micro-climat qui peut vous faire vivre des expériences météorologiques extrêmes et complètement contraires en l'espace de moins de trois jours. Démonstration. Vendredi : température extérieure de 0°, température intérieure de 5°, temps sec et ensoleillé. Samedi : temps stationnaire, p'tête bien qu'y va pleuvoir, p'tête bien que non. En tout cas y fait pô chaud. On relève quelques éclairs, mais pas signe de pluie. Dimanche : température extérieure de 18°, on ouvre grand les fenêtres pour réchauffer l'intérieur, mais on les referme une heure plus tard pour une session de quarante heure de pluie tiède et incessante. La mousson de décembre. La rue devient torrent, l'eau infiltre toutes les pièces de la maison, mais il fait tellement chaud que je pourrais aussi bien être en tongs. Le Portugal, où l'invention du climat tropical à l'européenne.

3- Fréquenter une fac portugaise apprend à développer ses réflexes et son imagination. En effet, comme l'information/la salle de cours/le livre de la bibliothèque que vous cherchez n'est jamais là où vous pouvez le penser, il faut exhumer des trésors de créativité pour assister au bon cours, obtenir le bon formulaire ou faire une recherche bibliographique. Exemple : le planning des exams. Affiché pendant un jour et demi (ni plus ni moins) dans un couloir obscur dont je n'avais jamais entendu parler. Retiré sans raison aucune alors que pas plus d'un quart de la fac n'a dû pouvoir le consulter. Sensé reparaître sur le portail informatique. Pas de signe de vie depuis deux semaines.

4- Au Portugal, on peut faire du shopping le dimanche, et même jusqu'à minuit. Ouais ouais.

5- Au Portugal, les compagnies d'électricité nous donnent de l'argent parce qu'on a trop payé le mois dernier (et personne ne voulait nous croire quand on disait que c'était trop cher en novembre... Tsss).

6- Finalement, le portugais a beau être timide, il est très facile de trouver un sujet de conversation, il faut juste savoir lequel. J'ai appris de mes précédentes expériences que demander des renseignements au sujet du cours à son voisin de classe n'est vraiment pas la bonne méthode si on veut obtenir une réponse. Par contre, les sujets suivants ont rencontré un franc succès : la nourriture, le temps qu'il fait, le dernier match de foot. Pour ceux qui s'apprêterait à dire que c'est comme en France, je vous arrête tout de suite. Parce que oui, je parle ici de tout le monde, tout genre, tout âge, toute taille. Parce que non, il n'y a pas d'autre sujet universel. Si tu te lances au hasard sur une cible inconnue, c'est ces trois là et basta.

7- Au Portugal, ou au moins à Porto, il y a la praxe et ses petits praxistas tout de noir vêtus. En été c'était déjà très drôle de les voir suer dans leurs collants et sous leur cape. Maintenant, c'est encore plus marrant de les voir grelotter dans les mêmes conditions, tout en essayant de s'abriter des intempéries avec leur petite pochette en cuir.

8- Mes jambes sont dures comme du granit. C'est ce à quoi il faut s'attendre quand on vient vivre dans une ville construite sur une succession de collines.

9- Au Portugal il y a Izabela Stachowizc - alias Belinha Maya Stachowizca - et vivre avec une personne qui aime autant mes brownies, ça n'a pas de prix.

10- Et enfin, le Portugal c'est bien, parce que j'aime dire des mots avec plein de -chhh-, parce que j'aime faire du vin chaud avec du Minho en brique, parce qu'on peut acheter des marrons chauds partout dans la rue et que même, y a pas tout le temps des vers dedans, parce qu'on peut entrer dans les bars et aller aux toilettes sans consommer, parce qu'on peut rester dans ces mêmes bars pendant des heures avec un café, parce qu'on prend le temps, on prend le temps de tout. Parce que je peux partir de chez moi à l'heure du début de cours et toujours arriver avant le prof. Ca nuit à la productivité, mais qu'est-ce que c'est bon pour le moral.

* Référence à l'écroulement, naturel ou pas, on ne sait pas, d'une maison à 20 mètres de notre immeuble. Elle était "à vendre" depuis notre arrivée et sûrement depuis de longs mois, et les fenêtres étaient barricadées, comme celles des maisons de la moitié de notre rue. En trois mois, c'est la cinquième qui s'effondre et qui nous étouffe avec sa poussière et ses bulldozers.

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